jeudi 2 mars 2017

La face cachée de la croissance israélienne

Publié par le magazine Ma Yesh, mars 2017

La croissance du PIB israélien vient d’être révisée à la hausse à 4% pour l’année 2016, suite à une croissance record de plus de 6% pour le quatrième trimestre. Cette croissance record du quatrième trimestre a été tirée notamment par les exportations (+ 11%), par les ventes de voitures (+30%) ainsi que par la construction (+ 11%).

Le gouverneur de la Banque d’Israël Karnit Flug a récemment déclaré que l’économie israélienne, avec son taux de chômage à 4%, se trouvait très proche du plein emploi. Même au plus fort de la crise financière, le chômage israélien n’a jamais dépassé 8%, retombant sous les 7% dès 2010, alors même que le chômage en zone euro n’est plus passé sous les 10% de 2010 à 2016... En conséquence de ce dynamisme du marché de l’emploi, une hausse des salaires significative a pu être observée. Cette hausse ne concerne plus seulement le secteur du high tech, où l’on observe une véritable pénurie de talents, mais l’ensemble de la population active. Entre 2007 et 2014, les employés peu qualifiés ont même vu leur revenu augmenter davantage que les plus hauts salaires, plaçant Israël dans une position très enviable par rapport à la majorité des autres pays de l’OCDE, qui ont vu les revenus des salariés peu qualifiés baisser et les inégalités salariales se renforcer à partir de la crise financière de 2008. Dans le même temps, l’indice général des prix israélien baisse depuis plus de deux ans et les prix immobiliers commencent même également à s’infléchir sur la période la plus récente. Hausse des salaires, baisse des prix, la conclusion est sans appel : le pouvoir d’achat des israéliens augmente, de façon plus forte et plus uniforme que dans la plupart des autres pays développés.

On ne peut enlever au premier ministre Benyamin Netanyahu sa part dans ce succès.
Israël a connu depuis la crise économique de 2002 et l’arrivée de Netanyahu au poste de ministre des finances en 2003, une véritable révolution économique, consistant en une brutale remise en cause de l’Etat-Providence et une libéralisation progressive de l’économie. Cette transformation, qui allait se poursuivre sous les trois nouveaux mandats de Netanyahu en tant que premier ministre (de 2009 à aujourd’hui), a favorisé l’arrivée de nouveaux entrants sur le marché du travail (hommes ultra-orthodoxes, femmes israéliennes en général, et arabes israéliennes en particulier etc.), qui auparavant vivaient essentiellement de subventions, et porté le taux d’emploi des personnes âgées entre 35 et 54 ans de 70% à plus de 80%, un taux en phase avec la moyenne des pays développés. Parallèlement, le taux de chômage est passé de 11% à 4% et la dette publique de 95% à 62% du PIB sur la période.

Cependant, l’économiste israélien Dan Ben-David, spécialiste de ces questions, a récemment pointé les problèmes qualitatifs derrière cette amélioration quantitative du taux d’emploi. Israël est certes parvenu à intégrer une partie plus importante de sa main d’œuvre dans le marché du travail mais le niveau de qualification de ces nouveaux entrants est souvent insuffisant pour leur permettre d’améliorer significativement leur niveau de vie. En cette matière, le pays pâtit lourdement du manque d’investissement dans son capital humain. Certes, le taux d’israéliens en âge de travailler possédant un diplôme est parmi les plus élevés des pays de l’OCDE (31%). Mais le taux de dépenses éducatives par élèves était en 2010 de 30% inférieur à la moyenne de l’OCDE. La productivité de la main d’œuvre israélienne est de 40% inférieure à celle des Etats-Unis et de 25% inférieure à la moyenne de l’OCDE. Israël a le plus fort taux de travailleurs pauvres parmi les pays de l’OCDE mais ne dépense qu’un quart de la moyenne des pays de l’OCDE dans la formation professionnelle. Israël n’arrive qu’autour de la quarantième place mondiale du classement PISA (évaluant chaque pays sur la performance de son système éducatif) et a le plus fort taux d’”élèves faibles” parmi les nations développées.  

Le sous-investissement éducatif grève les perspectives d’augmentation de la productivité et du niveau de vie des classes populaires, d’autant plus que les subventions et services publics dont ils jouissaient ont subi des coupes sombres à partir de 2003. Certes, les inégalités de revenus avant transferts sociaux et impôts ont diminué depuis 2000, grâce notamment à la hausse du taux d’emploi. Mais les inégalités sur les revenus disponibles (après transferts sociaux et impôts) ont augmenté sur la même période (baissant cependant légèrement depuis 2010). Israël affichait ainsi en 2013 le deuxième niveau d’inégalités le plus élevé (après les Etats-Unis) sur les revenus après impôts et transferts au sein de l’OCDE. Ces observations montrent que les politiques d’inclusion sociale des populations auparavant « assistées » ont partiellement porté leurs fruits mais que, dans le même temps, le système de redistribution sociale destiné à soutenir les plus fragiles s’est affaissé. Au global, ces deux effets combinés n’ont pas permis aux plus bas revenus de rattraper les plus riches.

Aux inégalités de revenus, il faut ajouter l’explosion du coût du logement, qui affecte de façon beaucoup plus importante les classes populaires et moyennes que les catégories sociales supérieures. Ainsi peut être expliquée la « révolte des tentes » de 2011, qui, de façon inédite pour Israël, a réuni des centaines de milliers de manifestants de toutes catégories sociales et religieuses contre le coût de la vie et la détérioration des services de santé et d’éducation.

Fortes inégalités de revenus, casse de l’Etat-Providence depuis 2003 qui rend impossible leur correction et conduit à un sous-investissement chronique dans le capital humain, explosion du coût du logement, importante fracture du pays entre son « centre » et sa « périphérie » sont les cancers qui hypothèquent l’avenir des classes populaires.


La croissance économique tonique des dernières années, la baisse de la dette publique à un niveau très inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE, les futures rentrées fiscales liées à l’export de gaz naturel, vont offrir au pays d’importantes marges de manœuvre budgétaires pour panser ses plaies. Mais, compte tenu du délabrement de la gauche et de la polarisation du débat politique autour des problématiques sécuritaires et identitaires, il n’est pas certain que ces marges de manœuvre soient exploitées.