samedi 3 décembre 2016

Les conséquences économiques de M. Trump

Publié par le magazine Ma Yech, décembre 2016

Donald Trump a créé la surprise en devenant le 45ème président élu des Etats-Unis. Si sa campagne s’est centrée avant tout sur les thématiques identitaires, sécuritaires et culturelles, Trump a su exploiter le sentiment de déclassement éprouvé par une partie des classes moyennes américaines, dont le revenu n’a pas augmenté en termes réels depuis une quarantaine d’années, alors même que celui des 1% plus riches s’est fortement élevé. Il a également surfé sur le double ressentiment identitaire et social des ouvriers blancs habitant les anciennes terres industrielles particulièrement touchées par les délocalisations vers les pays à bas coût. Le basculement dans le camp républicain d’un grand nombre d’Etats de la « Rust Belt » (Indiana, Pennsylvanie, Ohio, Wisconsin, Michigan), ancien bastions de l’acier et du charbon américains, aura scellé la victoire électorale de Trump.

Le logiciel économique de Donald Trump est tout à fait inédit, combinant des éléments traditionnels de l’offre républicaine, comme les baisses d’impôt et la dérégulation, et des thèmes traditionnellement portés par la gauche voire l’extrême gauche, comme les dépenses d’infrastructures et la critique du libre-échange.

Commençons par le programme de baisses d’impôt. Celui-ci consiste en un projet de réduction des taux marginaux d’imposition sur les ménages et les entreprises, de suppression de certains impôts et de création de nouvelles déductions fiscales. Selon le Tax Policy Center, ce programme ambitieux se traduira par une baisse de 9 500 milliards des rentrées fiscales sur la décennie (avant prise en compte des effets macroéconomiques du plan), 47% de ce montant allant aux 1% les plus aisés. Des déductions fiscales seront offertes aux acteurs privés participant au financement d’infrastructures, dont l’impact sur le budget devrait s’élever à plus de 130 milliards de dollars sur la décennie qui vient (l’investissement prévu en infrastructures est compris entre 500 et  1000 milliards, les besoins estimés étant de 3600 milliards de dollars). Le fait que ce plan d’infrastructures soit financé par le secteur privé plutôt que par l’argent public (comme le voulait Clinton) aura des impacts très importants : seuls les projets satisfaisant certains critères de rentabilité financière verront le jour, aux dépens d’autres projets ne rapportant pas de revenus. Les régions les plus riches et peu peuplées seront favorisées aux dépens des régions les moins densément peuplées et les plus pauvres. Ce plan donnera lieu à des effets d’aubaine : certains projets donnant droit à des déductions fiscales prendront la place d’autres projets qui auraient été financés en l’absence de ce plan.  Enfin, il n’y aura aucune garantie que le plan permettra le financement de projets qui n’auraient pas été financés autrement. Par conséquent, l’impact de ce plan en termes de création d’emplois nouveaux est incertain.

Le rapport de force, au sein du parti républicain, entre « faucons budgétaires », attachés à la maîtrise de la dette publique, et keynésiens, plus sensibles au problème des emplois et de la croissance, déterminera si ces baisses d’impôt seront financées par des coupes budgétaires ou par l’augmentation de la dette publique. Si les « gardiens du temple budgétaire» (dont Paul Ryan, le speaker républicain à la Chambre des Représentants, est l’emblème) prennent le dessus, Trump sera probablement contraint de financer les baisses d’impôt sur les hauts revenus par des coupes sur des postes de dépenses sociales sensibles comme Medicare et les retraites. Dans ce cas, l’impact des baisses d’impôt sur la croissance sera modeste voire négatif et cette politique aggravera en outre les fractures sociales et régionales ouvertes par la politique très inégalitaire des trois dernières décennies.

Si, au contraire, les faucons budgétaires du parti républicain sont mis en minorité, le programme de baisses d’impôt de Trump deviendrait un programme de relance fiscale par les baisses d’impôt, en tout point semblable à celui initié par Ronald Reagan dans les années 80. L’impact sur la croissance sera alors positif, quoique surtout favorable aux plus hauts revenus. Dans le contexte de quasi-plein emploi aux Etats-Unis, ce programme de relance se traduira en outre par un regain d’inflation et une hausse des taux de la Fed, qui viendra limiter ses effets favorables sur la croissance. Le marché obligataire a d’ailleurs incorporé ce scénario immédiatement après la victoire de Trump avec une augmentation des taux à 10 ans de 0.5% ainsi qu’une augmentation significative du taux d’inflation anticipé aux Etats-Unis.

A ce programme de baisse d’impôts, Trump ajoute un autre thème traditionnel du parti républicain : la lutte contre les réglementations de tous ordres qui « entravent la création d’emplois et l’investissement ». Trump veut en particulier revenir sur les régulations concernant le climat (Clean Energy Act, accord de Paris), avec pour ambition de renforcer le rôle déjà croissant des Etats-Unis dans la production d’énergies fossiles (gaz, pétrole et charbon), un thème qui a particulièrement séduit les régions ayant profité du récent boom du pétrole et du gaz de schiste (Ohio, Texas, Louisiane, Wyoming, Idaho, et Virginie Occidentale). Trump affirme également vouloir abroger au moins partiellement la réforme d’assurance maladie mise en œuvre par Obama (Obamacare), qui a permis à près de 10 millions d’Américains de contracter pour la première fois une assurance maladie. Les nominations d’ex banquiers à certains postes clé laissent enfin présager un retour en arrière sur les régulations financières de l’ère Obama destinées à prévenir les excès de la sphère financière (Dodd-Frank Act en particulier). La hausse du marché boursier américain post-élections a ainsi été portée par le secteur des small caps (souffrant le plus des régulations), par le secteur énergétique et par le secteur bancaire, qui enregistrait une hausse de 10% une semaine après l’élection de Trump.

Un autre thème de campagne, qui a mis Trump en porte à faux avec les cadres de son parti mais en résonance avec les préoccupations des cols bleus de la Rust Belt, a été celui du libre-échange. Trump, dans sa campagne, a en effet désigné les accords de libre-échange avec le Mexique et les « pratiques commerciales déloyales » chinoises comme les principaux responsables de la perte d’emplois industriels américains. Il a promis de renégocier les accords commerciaux dans un sens favorable à l’emploi aux Etats-Unis. Il a également pris l’engagement de lutter contre l’immigration mexicaine, présentée comme une menace pour les travailleurs américains. Cette orientation est potentiellement très coûteuse pour la croissance. Certes, les nouveaux accords de libre-échange tels que le Traité Transatlantique ou le Traité Transpacifique, qui étaient en cours de négociation avant l’élection de Trump (et qui seront maintenant enterrés) auraient eu des répercussions économiques probablement plus modestes que ne le prétendent leurs promoteurs. Cependant, renier les accords existants de façon brutale et unilatérale comme le souhaite Trump pourrait mener à un renchérissement du coût des importations, à des mesures de rétorsion commerciales, à une vague de mesures protectionnistes dans tous les pays, mais aussi à des tensions diplomatiques et même à une escalade militaire en particulier avec la Chine... D’ailleurs, la hausse du dollar et la baisse du peso mexicain qui ont accompagné l’élection de Trump constituent d’ores et déjà un handicap pour les exportations américaines et un soutien pour les importations en provenance des autres pays.


Pour l’instant, les marchés boursiers ont décidé, après un bref épisode de panique durant la nuit électorale, d’ignorer un certain nombre de risques concernant la présidence Trump (guerres commerciales, coupes drastiques de dépenses publiques sensibles, blocages institutionnels et politiques, scandales entourant la personnalité et le style de leadership de Trump, crise des relations transatlantiques…) et de se focaliser sur les facteurs positifs pour la croissance des bénéfices des entreprises à court terme (plan d’infrastructures, baisses d’impôts, dérégulations…). L’avenir dira s’ils ont eu raison. En ce qui concerne les classes moyennes, la prédiction est plus aisée : elles devront attendre quatre ou huit ans de plus avant d’espérer voir leur condition entamer un rattrapage avec celle des plus hauts aisés…