Publié dans le magazine Ma Yesh, juillet 2016
De janvier à avril 2016, les investissements
directs de la Chine à l’étranger ont dépassé en à peine quatre mois le précédent
record de 119 milliards de dollars atteint sur l’ensemble de l’année 2015.
L’acquisition en février 2016 du géant suisse de l’agrochimie Syngenta par l’entreprise
China National Chemical pour la somme de 46 milliards de dollars marque
une nouvelle étape dans la stratégie chinoise d’acquisitions.
Dans les années 2000, les
investissements chinois à l’étranger s’étaient avant tout concentrés sur les
pays émergents et sur les secteurs minier, agricole et énergétique. L’objectif
était de sécuriser l’approvisionnement de l’Empire du Milieu en matières
premières stratégiques pour son développement. La décrue des prix des matières
premières, la mutation de l’économie chinoise vers le secteur de la
consommation domestique et des services, la nécessité d’augmenter le niveau de
gamme de l’industrie face à la pression sur les salaires et la concurrence de
nouveaux pays à plus faible coût salarial, ont profondément réorienté la
stratégie d’investissement de la Chine à l’étranger. Les acquisitions récentes
se concentrent sur les pays industrialisés et sur les secteurs du tourisme, des
biens de consommation et des high techs. Les dernières opérations chinoises en
Israël témoignent de cette tendance : l’achat de la compagnie israélienne
Lumenis, leader mondial dans la médecine esthétique au laser, par le fonds
chinois XIO en 2015 (dans un deal valorisant l’entreprise à 510 millions de
dollars), la prise de contrôle en 2016 de la marque Ahava par le fonds d’investissement
géant Fosun (dans un deal évaluant la célèbre compagnie de cosmétiques à 77
millions de dollars), et les nombreux partenariats de R&D sino-israéliens, illustrent
la volonté de la Chine de renforcer sa présence dans le secteur des biens de
consommation haut de gamme et des technologies de pointe.
Malgré son importance dans le
commerce mondial des marchandises, la Chine reste un acteur relativement
marginal des investissements transnationaux (seulement 3.5% du total mondial).
Ainsi, le stock d’investissement direct de la Chine à l’étranger s’élève à
seulement 7% du PIB chinois contre 38% pour les Etats-Unis, 20% pour le Japon,
47% pour l’Allemagne. Mais l’objectif affiché du gouvernement chinois est de
faire de la Chine un des plus importants investisseurs étrangers à l’horizon
2020 : les projets “Made in China 2025” et “Internet Plus” se présentent
comme des listes de shopping destinées à aider la Chine à acquérir les
technologies clé et brevets nécessaires à sa montée en gamme industrielle. L’ambition
de Pékin est de produire à terme des champions mondiaux de la high tech tout en
protégeant les acteurs chinois d’éventuelles acquisitions étrangères et le
marché intérieur chinois de la compétition internationale.
Plusieurs obstacles se dressent cependant sur la route
du Parti dans l’atteinte de cet objectif. Le premier est intérieur : les entreprises
publiques chinoises sont déjà exposées à un problème de surcapacité et de
surendettement depuis l’éclatement de la bulle immobilière chinoise au début de
la décennie. Leur capacité à s’endetter davantage pour réaliser des
investissements risqués à l’étranger est donc nécessairement limitée. Cette
contrainte est d’autant plus forte dans un contexte de fuite massive des
capitaux étrangers qui mobilise les réserves de change titanesques du pays au
service de la défense du yuan. Un second obstacle tient à la volonté des
autorités chinoises de limiter les sorties de capitaux de la part de sa
nouvelle classe moyenne supérieure partie à l’assaut des biens immobiliers australiens,
européens et nord-américains, pour des motifs parfois liés à l’évasion fiscale
et au blanchiment d’argent. Un dernier frein provient de la résistance des
nations avancées face à la stratégie d’acquisition chinoise. La présence
croissante de l’Empire du Milieu dans les flux d’investissement internationaux
suscite en effet de nombreuses interrogations au sein du monde occidental. La
pression exercée sur les prix immobiliers par les investisseurs chinois, qui
est ressentie de manière particulièrement aigüe dans des villes comme Vancouver, n’est qu’une
partie du problème. Des parlementaires américains ont récemment manifesté leur inquiétude concernant
les velléités d’acquisition chinoises dans des secteurs à très haute valeur
ajoutée ou stratégiquement sensibles comme les semi-conducteurs, l’aérospatial
et les technologies de la défense. Ainsi, deux projets d’acquisition chinois
aux Etats-Unis ont avorté pour des raisons liées à la protection des intérêts nationaux: Lumileds, une joint-venture entre la marque
néerlandaise Philips et l’entreprise américaine Agilent Technology, spécialisée
dans les technologies d’éclairage automobile, et Fairchild, une entreprise
américaine de semi-conducteurs, ont récemment repoussé les offres pourtant très
généreuses de deux investisseurs chinois. Le fait que 70% des
acquisitions chinoises à l’étranger soient le fait d’entreprises détenues par
l’Etat renforce évidemment les inquiétudes des pays cibles. Ce type
d’acquéreurs bénéficie en effet de facilités de financement et de subventions publiques
qui sont une forme de concurrence déloyale vis-à-vis des autres acheteurs
potentiels. D’autre part, la stratégie d’acquisition de ces acteurs est
évidemment dictée par des considérations stratégiques nationales et non par le
seul objectif de rentabilité financière.
Dans ce domaine, comme dans
beaucoup d’autres, l’Europe se distingue par son angélisme et son manque de
clairvoyance. Contrairement aux Etats-Unis, au Canada et à l’Australie, les
nations européennes, qui ont reçu en 2015 des investissements directs de 20
milliards d’euros de la part de la Chine (ce chiffre était de 2 milliards
seulement en 2010 et de 14 milliards en 2014), ne se sont pas dotées d’agence de surveillance
des investissements étrangers. Il a fallu attendre l’annonce de l’offre du
groupe chinois Midea sur le fabricant allemand de robots industriels Kuka (intervenant
notamment dans la fabrication de l’hélicoptère de combat Eurofighter) pour
qu’un débat s’amorce
sur les réponses à adopter face à la stratégie d’acquisition chinoise. Mais
l’Europe est la première responsable de ses déboires. Partout où elle se
retire, la Chine prend la place qu’elle laisse vacante. Les investisseurs
chinois sont en effet venus pallier la réticence de la France et de l’Allemagne
à investir massivement dans le redressement des économies périphériques (Espagne,
Italie, Portugal, Grèce, Irlande), confrontées depuis 2008 à une fuite massive
des capitaux vers les pays cœur. En 2015, les pays périphériques ont reçu pour la première fois près de la
moitié de tous les investissements chinois en Europe. L’acquisition de
l’italien Pirelli par ChemChina, de l’Atletico Madrid par Wanda, de la banque
d’investissement du groupe portugais Banco Espirito Santo par Haitong, du port grec
du Pirée par le transporteur chinois COSCO, en sont des exemples emblématiques.
Ce phénomène ne concerne pas seulement l’Europe du Sud. La stratégie
d’implantation de la Chine en Israël bénéficie également de
la complaisance des autorités européennes à l’égard du mouvement BDS, dont l’emprise est grandissante
sur les entreprises européennes.
Face aux ambitions chinoises, il
est urgent d’élaborer une stratégie coordonnée imposant la transparence sur les
intentions de l’acquéreur ainsi que la réciprocité sur les règles d’acquisition
et d’accès aux marchés domestiques.
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