dimanche 6 mars 2016

Chute des valeurs bancaires : l’avenir d’une correction

Article publié dans le magazine Ma Yesh (mars 2016)

Depuis le début de l’année 2016, on a assisté à des turbulences importantes sur les marchés financiers. Les principaux indices boursiers des pays développés ont cédé plus de 10% et les indices bancaires plus de 20% dans ce qui a constitué un des pires débuts d’année boursier des cent dernières années…

Mais cette correction a en réalité commencé au dernier trimestre de l’année 2014, avec la chute du pétrole et des devises émergentes face au dollar, qui s’est poursuivie tout au long de l’année 2015. Son origine a été le resserrement monétaire de la Federal Reserve survenu à partir de l’année 2013. De novembre 2008 à septembre 2012, la Fed avait en effet lancé des programmes successifs d’achat d’actifs d’une ampleur sans précédent pour contrer les effets récessifs de l’éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis (multiplication par cinq de la base monétaire). Fin octobre 2014, elle y met fin puis, en décembre 2015, elle relève ses taux directeurs de 0.25% et annonce son intention de remonter « graduellement » ses taux directeurs tout au long de l’année 2016 en fonction de l’évolution des fondamentaux de l’économie américaine.

Ce resserrement monétaire a été aussi lourd de conséquences sur les marchés que celui entamé à partir de l’été 2004 : dans les deux cas, les bulles favorisées par la politique de taux bas menée sur les années précédentes ont alors éclaté. En 2006, c’est la dette privée dite « subprime » qui avait été la première touchée. Cette fois, la crise s’est focalisée sur la dette des pays émergents et des sociétés productrices de matières premières. Comme en 2006-2007, l’onde du choc a mis un certain temps à se propager vers l’ensemble des actifs financiers. Dans le cas de la crise actuelle, il aura fallu un peu plus d’un an pour que l’illusion du « découplage » entre pays émergents et pays développés prenne fin.

Aujourd’hui, l’épicentre de la crise n’est plus le pétrole et le monde émergent mais les grandes banques d’investissement européennes et américaines, qui se trouvent, comme en 2007-2008, dans le collimateur des investisseurs. Endettement trop important, contexte global d’aversion au risque élevée sur les marchés, actifs à risque (financement de projets liés aux matières premières, prêts toxiques dans le cas des banques du Sud de la zone euro), nouvelles régulations, gouvernance défaillante, faiblesse des résultats due à une croissance mondiale atone et aux taux d’intérêts bas, incertitudes politiques (popularité de Donald Trump et de Bernie Sanders aux Etats-Unis, menace de Brexit…), opacité des bilans et interconnections forment le cocktail détonant derrière cette nouvelle crise de défiance à l’égard des grandes banques d’investissement. Emblématique de cette crise de défiance, l’action Deutsche Bank a perdu plus de la moitié de sa valeur depuis avril 2014.
On se souvient qu’en 2008-2009, la crise bancaire avait été jugulée par des actions sans précédent des Banques Centrales et des gouvernements pour remettre à flot le secteur financier : garanties sur le marché interbancaire, rachat d’actifs toxiques, recapitalisations, prêts d’urgence, plans de relance…. Ces mesures exceptionnelles avaient conduit à l’explosion du bilan des Banques Centrales et au creusement de la dette publique, avoisinant aujourd’hui les 100% du PIB dans les pays industrialisés. Suite à la crise sur la dette publique grecque survenue fin 2009, les gouvernements des pays avancés, inquiets de subir à leur tour le sort de la Grèce, ont décidé un tour de vis budgétaire dès 2010. On a ainsi délégué aux seuls Banquiers Centraux le soin d’amortir les effets récessifs combinés du long cycle de désendettement privé entamé à partir de 2006 et du cycle de désendettement public amorcé quatre ans plus tard.

Il en a résulté une politique monétaire ultra-accommodante, qui n’a pas manqué de produire son lot de conséquences désagréables : taux d’intérêt très bas voire négatifs mettant en difficulté les banques et les gérants d’actifs, recherche effrénée de rendements profitant à des emprunteurs à la solvabilité douteuse, bulles d’actifs, guerre des monnaies… Parallèlement, les bienfaits de cette politique monétaire accommodante pour l’économie ont du mal à se faire sentir, car les liquidités déversées sur les marchés d’actifs peinent à se traduire, en Europe au moins, par des créations d’emploi significatives et par le retour à une inflation proche de la cible des 2%. Comme souvent en économie, l’évaluation de l’impact des politiques économiques se heurte au problème du « contrefactuel » : on voit les désordres causés par les politiques monétaires, mais on ne voit pas ce qui se serait passé en leur absence (seule la crise des années 30 en fournit un aperçu pour qui s’intéresse à l’histoire économique du siècle passé). Le resserrement monétaire de la Fed, que beaucoup d’économistes ont jugé prématuré au regard des fondamentaux de l’économie mondiale, s’inscrit ainsi dans un contexte politique de défiance de plus en plus importante vis-à-vis de la politique monétaire. De nombreux candidats à la primaire républicaine parlent de fermer la Fed, qu’ils pointent comme la principale responsable des dérèglements financiers observés depuis une vingtaine d’année. Du côté démocrate, Bernie Sanders souhaite également renforcer le contrôle politique sur les actions de la Fed, de manière à ce que ces actions bénéficient non plus au seul secteur financier mais au plus grand nombre, une position partagée par le nouveau leader du parti travailliste Jeremy Corbyn au Royaume-Uni. En zone euro, le gouverneur de la Banque Centrale Européenne Mario Draghi doit faire face à la fronde des pays du Nord de la zone euro (Allemagne, Finlande, Pays-Bas) qui s’opposent à ce qu’ils voient comme un sauvetage permanent des nations emprunteuses.  La sacrosainte « indépendance » des Banques Centrales, qui garantit leur crédibilité dans l’atteinte de leurs objectifs d’inflation, est ainsi partout remise en cause. On peut d’ailleurs y voir un élément explicatif du fait que l’objectif d’inflation à 2% n’est plus atteint dans aucun pays avancé depuis deux ans.

Dans ce contexte politique chargé, seule une nette dégradation des chiffres d’emploi et d’inflation – et donc une correction boursière plus importante- pourra fournir aux banques centrales la légitimité politique pour mener les actions nécessaires au sauvetage du système financier. C’est ce qui fait de 2016 une année à hauts risques pour les marchés.